Le « suicide » de Giorgio Cesarano

 

 

 

« La guerre est la perversion de la guerre. Le problème n’est pas dans la guerre mais dans la perversion. Et la perversion est  une répression ; la guerre est perversion du sexe et énergie faite esclave. La guerre est ce qui échoît au faible, à l’impuissant, pour qu’il puisse au moins être touché par la forme la plus inférieure de la violence, comme la mort pour qui fuit le champ de bataille…

Il s’agit non pas d’abolir la guerre, mais de trouver la guerre véritable : le vrai feu : “Dévoilez le cœur caché pour une guerre réciproque de bienveillance, une guerre d’amour” »

 

Norman Brown, commentaire à Blake, in Corps d’amour.

 

 

 

 

     Ce qui est arrivé à Giorgio Cesarano n’est pas un suicide au sens courant du terme. Tous ceux qui connaissent ce qu’il a écrit, les choix irrévocables qu’il avait fait pourront penser que sa mort vient les contredire en totalité. Il n’en est pas ainsi. Les camarades qui ont faits ces choix avec lui et qui en ont partagé l’élaboration théorique doivent prendre acte de sa disparition comme d’une terrible défaite. Mais, si pour eux, cela ne peut pas ne pas être une défaite, il ne s’agit pas toutefois d’une victoire du capital. Sa mort est advenue sur un terrain qui est celui de la « guerre véritable », non sur celui des guerres fictives et spectaculaires désormais gérées par le nihilisme d’Etat. G. Cesarano avait définitivement coupé tout lien avec ce qui historiquement avait été produit en lui en tant que domination du capital. Il avait osé, avec le courage  lucide qui le caractérisait, « sortir du capital » ; il se trouvait donc amené à combattre sur cette terre « inexplorée » qui se trouve entre la réalité présente et celle qui lui absolument « autre ». Il savait aussi que qui livre le combat de la « guerre véritable », qui a abattu les bastions typiquement mercantiles de l’inattention sélective, du refoulement et de la scotomisation, ne se retrouve pas sauvé dans un « ailleurs » tranquille mais est engagé dans la lutte pour la régénration des sens et de l’intellect, dans une condition de précarité extrême.

     Qui est sur ce terrain – celui de la reconquête passionnée du contact vivant avec la réalité – peut risquer la mort à chaque instant ; chaque jour pour lui peut être le dernier. G. Cesarano, tout en le sachant et en sachant aussi que l’unique possibilité de défense qui ne soit pas dans la sphère du capital intériorisé était l’existence d’une communauté se posant en dehors de tout ce qui est « sub species mortis » – communauté que personne n’a pu encore vivre en tant que réalité présente – a tout de même osé. Le suicide dépressif, celui qui sert seulement à faire souffrir les autres et à les culpabiliser, ou la mort spectaculaire du terroriste, qui doit servir à valoriser le fait qu’on est déjà mort depuis longtemps, lui étaient totalement étrangers. Qui « sort du capital », de sa domination réelle, a finalement la possibilité de réaliser « concrètement » la qualité qui se manifeste à nouveau en lui mais dans les conditions où nous nous trouvons de devoir supporter survies et atrophisation de toute vie véritable ; l’aventure du qualitatif est une aventure tellement révolutionnaire et non renouvelable qu’elle peut être enrayée à tout moment, tandis que la rentrée dans la réalité normale n’est absolument plus possible.. Des conditions défavorables se sommant au cours de ces derniers temps imposèrent brutalement cette rentrée à G. Cesarano ; son passé fantôme meurtrier se pressait sur ses pas. Il n’a pas accepté cette rentrée. Il est tombé non sur un champ de bataille choisi par le capital comme cela arrive malheureusement à beaucoup de ceux qui s’opposent à l’existant, mais sur celui que lui-même avait dans l’enthousiasme laborieusement découvert. Qui le perçoit vivant veut continuer dans cette voie.

 

 

 

G. Collu – J. Camatte